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Valeriy Sokolov






Récital à Toulouse, septembre 2004


Après avoir épaulé son instrument, et l’avoir méticuleusement mais promptement accordé, le voici qui approche son archet de la corde de sol, tout en imprimant déjà à sa main gauche le discret vibrato qui sied au début de l’œuvre qu’il s’apprête à jouer : la troisième Sonate d’Eugène Ysaÿe. La première note, énoncée pianissimo mais avec un son d’une extraordinaire prégnance, me fait tressaillir. Et que dire du bref et paroxystique crescendo qui suit aussitôt? Celui-ci débouche sur une sixte en la majeur, fortissimo, auquel succède un long silence parfaitement calibré, préparant un changement immédiat de couleur et de texture sonores, destiné aux deux notes inattendues (sol naturel et fa dièse) qui vont suivre et qui semblent surgies d’un autre monde. Trente secondes seulement se sont écoulées depuis que la toute première note jaillie non pas des mains, mais du cerveau et de l’âme de Valeriy Sokolov, est parvenue à mes oreilles, et me voilà déjà saisi au plus profond de moi-même. Quelques huit minutes plus tard, il plante l’accord final. Son visage jusqu’ici illuminé par la concentration esquisse un sourire.

en duo à Montrouge, 2003


C’est à l’Ecole Yehudi Menuhin en Angleterre au printemps 2003 que j’eus l’occasion d’entendre Valeriy Sokolov pour la première fois. Je venais à peine de découvrir son existence lorsqu’il s’offrit de me jouer cette Sonate d’Eugène Ysaÿe. Tandis qu’il s’exécutait, pas la moindre contorsion ne vint troubler le sentiment qu’il donnait d’une totale aisance instrumentale, d’une maîtrise technique aboutie, d’une maturité musicale qui évacuait la question de ses seize jeunes années, et par-dessus tout d’un abandon complet au flot de la musique qu’il jouait. Sentiment qui se renouvela lorsque je lui demandai de poursuivre avec la majestueuse fugue en la mineur pour violon seul de Bach, puis lorsque je visionnai quarante huit heures plus tard la bande vidéo amateur qu’il me remit d’un concert donné trois ans plus tôt (à l’âge de treize ans !) à Kharkov avec l’orchestre symphonique d’Ukraine. Il y interprétait le concerto pour violon de Khatchatourian.

Il existe aujourd’hui de magnifiques virtuoses du violon, mais y en a-t-il un seul parmi eux qui porte au cœur même de son âme, c'est-à-dire de sa sonorité, la marque irrécusable de ce qui faisait l’art intensément original des cinq ou six plus grands violonistes du siècle tout juste écoulé ?

Depuis la disparition des derniers d’entre eux, je me posais la question sans lui trouver de réponse. A vrai dire, avant cette rencontre impromptue avec Valeriy Sokolov, je n’imaginais pas réentendre de mon vivant un son doté d’une telle incandescence.

Quoi qu’il en soit, et en songeant que nous ne disposons hélas d’aucun document à la fois visuel et sonore sur le moment de l’éclosion des artistes qui ont le plus profondément marqué leur époque, il était devenu vital pour moi, après l’avoir entendu, d’essayer de capter au plus vite Valeriy Sokolov dans toute la fraîcheur de ses jeunes années.

Le caractère utopiste d’un pareil projet affichant un jeune violoniste parfaitement inconnu ne m’échappait pas. Qui s’y intéresserait ? Qui pourrait en assurer le financement et la logistique? Je rédigeai un projet raisonnable dans lequel je limitais mes ambitions à l’organisation et au tournage d’un récital que je ferais précéder d’une courte introduction destinée à présenter aux public quelques brèves données biographiques concernant notre héros.

Ce n’est pas qu’un véritable film documentaire relatant l’odyssée prodigieuse d’un jeune ukrainien, parti du fond d’une contrée démunie d’Europe orientale pour aboutir à l’école Yehudi Menuhin serait dénué d’intérêt, bien au contraire. (A treize ans, il avait traversé l’Europe en car en compagnie de sa mère et de son professeur pour participer en Espagne à un concours international ; une bourse lui y avait été offerte afin de poursuivre ses études dans cette école prestigieuse). Un jour ou l’autre, je le réaliserai.

Pour le moment, il me fallait coûte que coûte parer au plus urgent : la constitution d’archives visuelles et musicales qui puissent à la fois servir les besoins immédiats d’un programme de télévision, et la préservation pour le futur des premières étincelles d’un talent manifestement exceptionnel. Après moult péripéties, j’obtins le soutien audacieux de mes producteurs habituels, Idéale Audience à Paris, et de la chaîne de télévision Arte. Un an plus tard, après avoir longuement travaillé avec Valeriy aux détails du projet et de sa mise en œuvre visuelle et sonore, nous commencions le tournage.

en tournage à Toulouse, septembre 2004


Et voici qu’à peine plus de deux ans depuis le jour où j’entendis pour la première fois ce violon lumineux, nous sommes en mesure de présenter au public ce document que, davantage peut-être que tout autre, car il relevait de la chimère, j’ai rêvé de réaliser.

Quel avenir pour un pareil talent ? Nul ne peut le dire avec certitude car une grande carrière repose sur nombre de facteurs imprévisibles. Il ne fait cependant guère de doutes dans mon esprit que Valeriy Sokolov devrait devenir l’un des violonistes majeurs de notre temps.

Est-il besoin d’ajouter que Valeriy possède une nature extraordinairement avenante, spontanée et fougueuse ? Quel que soit l’avenir qui lui est réservé, je suis persuadé que sa personnalité rayonnante passera à l’écran et ne manquera pas d’atteindre le spectateur dans son âme.

Bruno Monsaingeon. 22 septembre 2005
à propos du film « Valeriy Sokolov, le violon dans l'âme »



sur Valeriy Sokolov :



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