Tout violoniste rêve à un moment ou un autre de s’approprier et de pouvoir jouer des œuvres qui appartiennent au répertoire d’un autre instrument. Pour moi, cela remonte à longtemps. Dès l’adolescence, je transcrivais des petites pièces écrites à l’origine pour le piano ou pour le chant, puis déjà plus tard, j’adaptai la grande et magnifique Sonate à quatre mains en fa majeur de Mozart pour un quintette à cordes avec deux altos, dont la texture semblait s’y prêter à merveille. Mais tout cela restait manuscrit et donc guère lisible par d’autres que moi.
Le véritable déclic pour m’adonner à ce genre d’activité de manière massive se produisit il y a une quinzaine d’années, lorsqu’ Antoine Joly - un de mes amis, excellent musicien et pianiste amateur - fit l'acquisition d'un second piano. En disposant soigneusement les deux instruments, de telle sorte que nos regards puissent se croiser, nous pouvions déchiffrer tous les quatuors du grand répertoire directement à partir de la partition, du «conducteur» comme on dit dans le jargon professionnel : je me chargeais des parties de 1er violon et d’alto tandis qu’il faisait joliment s’équilibrer les parties de 2ème violon et de violoncelle.
Nous nous attaquâmes précautionneusement à des quatuors de jeunesse de Haydn. Miracle ! La joie éprouvée était de même nature que celle qui est ressentie par ceux qui pratiquent le quatuor à cordes. La sonorité produite par les deux pianos était rayonnante ; elle n’avait plus rien à voir avec la sonorité congestionnée du quatre mains que nous avions l’habitude de pratiquer, avec ses problèmes de registre et d’encombrement manuel. Ce que nous jouions là était exactement, ni plus ni moins, la musique écrite par le compositeur, sans les transpositions à l’octave que le quatre mains rend inévitables et au résultat acoustique pour le moins disgracieux. Dans les quatuors de Haydn, Mozart, Beethoven et Brahms, même les passages les plus volubiles sont parfaitement réalisables au piano.
Evidemment, il fallut en pratique adapter légèrement ces quatuors : en réalisant notamment une redistribution subtile des différentes parties d’un piano à l’autre, selon des périodes soigneusement calculées, nous nous donnions la possibilité d’assurer un échange permanent entre les deux protagonistes de notre duo, de recréer ces composantes essentielles de la jouissance de la pratique musicale que sont l’écoute mutuelle et l’échange.
Depuis un certain nombre d’années, Antoine Joly pratiquait également un logiciel permettant d’écrire de la musique. Au lieu d’un manuscrit difficilement lisible, il en résultait une partition aussi claire que si elle sortait de chez l’imprimeur. Antoine avait ainsi, au fil des ans, réalisé la première version d’une transcription de tous les quatuors de Haydn, Mozart et Beethoven. De mon côté, je n’avais aucune connaissance informatique, et ne possédais même pas d’ordinateur. Je me contentais d’être émerveillé lorsqu’il m’annonçait qu’une nouvelle transcription avait été effectuée, et de la vitesse avec laquelle elle l’avait été. Nous tenions des séances régulières de déchiffrage et de corrections de ces premières versions.
Puis, un beau jour, Antoine émit l’idée qu’il serait peut-être intéressant de nous atteler à un autre type de transcription : celle des six Sonates, dites en trio, pour orgue de Bach. On pourrait en tirer une version pour alto et clavier. Le répertoire de concert de l’alto étant ce qu’il est, c'est-à-dire fort restreint, l’idée était particulièrement bien venue ; d’autant qu’il me semblait que le lyrisme naturel de l’alto en faisait l’instrument idéal pour mettre en valeur le prodigieux potentiel expressif de ces six chefs d’œuvre.
Ce fut là à proprement parler notre première véritable collaboration en matière de transcription. Il fallait en effet avoir une connaissance intime de l’instrument à cordes pour décider de ce qu’il lui était possible de faire, pour trouver le registre adéquat, et donc les tonalités qui lui étaient les plus favorables. A cet égard, je pouvais effectivement apporter ma contribution. (Soit dit en passant, Bach ne procédait pas différemment lorsqu’il se livrait lui-même à une transcription de ses propres œuvres). Notre édition de ces six Sonates a été publiée récemment aux Editions Delrieu à Paris, contribuant ainsi à enrichir substantiellement le répertoire concertant de l’alto.
Depuis, nous poursuivons régulièrement cette collaboration. Le catalogue grossisant, nous avons pensé en faire profiter les musiciens amateurs comme professionnels.
Nous avons donc lancé un site internet, sur lequel se trouve un vaste répertoire de plusieurs centaines de transcriptions, en évolution permanente :
www.pianoandco.com
Voici ci-dessous un échantillon de transcriptions personnelles inédites en libre téléchargement (droits d'éxecution publique réservés) :