Le Quatuor Artemis est l'un des jeunes quatuors à cordes les plus accomplis en activité aujourd'hui. J’eus une première occasion de travailler avec eux en 1996, lors de la réalisation d'un film sur La jeune fille et la mort avec le quatuor Alban Berg. Les Artemis y participaient en quelque sorte en tant que "cobayes", pour recevoir les conseils de leurs prestigieux aînés dans l'interprétation du chef-d'oeuvre de Schubert. Lors des sessions de tournage, leur contribution s’avéra une composante extraordinairement précieuse de la réussite du film : leur jeunesse, leur compétence, leur ardeur communicative, l'expressivité de leurs visages, tous ces éléments qui concourent si puissamment à la qualité d'un film, étaient présents et me firent très forte impression.
Ils étaient alors encore étudiants ; depuis, une carrière internationale étincelante et un répertoire exceptionnellement vaste ont fait d’eux les dignes successeurs du plus renommé Quatuor des trente dernières années, le Quatuor Alban Berg, qui a récemment mis un terme à ses activités. Il m'apparût clairement qu'aucun jeune Quatuor ne pourrait, mieux qu'eux, illustrer dans le cadre d’un véritable documentaire dont ce serait le thème principal, la manière dont s’agence la vie commune d'un groupe de quatre musiciens qui se consacrent corps et âmes au perfectionnement inlassable de l'interprétation des pages auxquelles les grands compositeurs ont presque toujours réservé leurs plus belles musiques. En contrepoint de leurs interprétations, je comptais bien y évoquer tous les problèmes variés qu'implique un tel mode d'existence.
Avec pour arrière-fond cette problématique de nature à la fois psychologique, humaine, et aussi très matérielle, le film « Scènes de Quatuor » (la terminologie conjugale de ce titre n’est évidemment pas fortuite !) se déroule accompagné d’une grande quantité d’exemples musicaux tirés d’œuvres de Beethoven, Stravinsky, Webern et Verdi. J’ai fait en sorte dès sa conception - et dès les premiers accords - qu’il soit pour ainsi dire aspiré par l'une des œuvres les plus ambitieuses et énigmatiques de toute la littérature pour quatuor : la Grande fugue de Beethoven. Près de deux siècles après qu'elle ait été écrite, elle reste une page d'avant-garde, de même que reste d'actualité la phrase de Beethoven à son sujet. Présent tandis que le fameux « Quatuor Schuppanzigh » s'efforçait de la déchiffrer tout en gémissant devant ses difficultés instrumentales insurmontables, Beethoven s'était écrié : "Qu'ai-je à faire de vos misérables instruments lorsque l'esprit souffle en moi ?".
Une étude approfondie de cette partition magistrale et forcenée, émaillée de séquences de répétitions détaillées nécessaires à sa mise au point, présentait dans mon esprit l’avantage de permettre à l’auditeur d’y trouver des points de repère et de se familiariser avec ses ingrédients constitutifs essentiels, avant d’en suivre l’exécution intégrale, donnée en concert au « Théâtre des Bouffes du Nord » à Paris, et qui conclut le film.
Ce documentaire est accompagné d’un concert où figurent le 2è quatuor opus 18 de Beethoven, les trois pièces pour quatuor de Stravinsky, les Bagatelles opus 9 de Webern, et le quatuor en mi mineur de Verdi, un échantillon représentatif de la variété du répertoire du Quatuor Artemis.
Deux idées directrices m’ont guidé dans la réalisation de ces films. Il s’agissait d’une part de suivre au plus près les méandres prodigieusement intriqués de la partition. Mais aussi, et peut-être surtout, de m’attacher à ce qui constitue l’essence même du jeu d’un quatuor : l’échange. Car s’il est un défaut dont ces adeptes du « ménage à quatre » musical doivent être résolument préservés, c’est l’égocentrisme. Tout chez eux se passe dans un échange permanent, échange des phrases et des motifs, échange des sonorités, qui se traduisent en images par un échange des regards et des gestes. C’est bien cela, car il n’y a rien qui soit aussi expressif et émouvant, que je me suis efforcé de traquer à l’aide de la caméra. En d’autres termes, le secret d’une vie harmonieuse de quatuor, le vrai secret des Artemis.
Bruno Monsaingeon.
sur le quatuor Artemis :